Fiscalité : comment réduire drastiquement les droits de succession avec le démembrement
Le démembrement du droit de propriété consiste à scinder la propriété d'un bien en deux éléments distincts : l'usufruit - c'est-à-dire le droit d'utiliser le bien ou d'en tirer les revenus - et la nue-propriété. Cette opération est par principe temporaire : la pleine propriété a vocation à être reconstituée sur la tête du nu-propriétaire, au terme de l'usufruit. Lequel peut être consenti pour une durée limitée (on parle d'usufruit temporaire) ou calé sur la durée de vie de l'usufruitier (usufruit viager).
Le plus souvent, le démembrement n'a pas été choisi et s'impose aux parties. Le cas le plus fréquent est celui dans lequel un parent survivant se retrouve usufruitier de tout ou partie de la succession de son époux décédé, ses enfants n'en recevant que la nue-propriété.
Donation avec réserve d'usufruit
Le démembrement peut aussi être volontairement entrepris dans une optique de transmission anticipée de patrimoine. Le donateur peut alors donner la nue-propriété et l'usufruit à deux personnes distinctes, par exemple la nue-propriété à ses petits-enfants et l'usufruit à ses enfants, réalisant ainsi un saut de génération. Mais le plus souvent, le donateur se réserve l'usufruit des biens donnés.
Très fréquente dans les donations de parents à enfants, « cette technique permet de transmettre tout ou partie de son patrimoine par anticipation tout en conservant la gestion et les revenus du ou des biens transmis. La donation peut porter sur des biens immobiliers détenus en direct ou sur des titres de sociétés civiles auxquels les parents auront préalablement apporté un ou plusieurs biens mobiliers ou immobiliers », explique Corinne Caraux, directrice de l'ingénierie patrimoniale du Groupe le Conservateur.
Au-delà de la possibilité de conserver la gestion et les revenus du patrimoine familial, une donation avec réserve d'usufruit permet de bénéficier d'une fiscalité avantageuse.
800.000 euros en franchise de droits
Au moment de la donation, dans la mesure où le ou les parents donateurs ne transmettent que la nue-propriété de leurs biens, les droits de donation ne seront calculés que sur cette valeur. Lorsqu'il s'agit d'un usufruit viager, la valeur de la nue-propriété (et corrélativement celle de l'usufruit) est déterminée forfaitairement à partir d'un barème fixé par le Code général des impôts.
Ce barème repose sur l'âge du donateur au jour de la donation. Plus il est jeune et plus la valeur de la nue-propriété est faible : elle est égale à 50 % de la valeur du bien lorsque le parent donateur est âgé de 51 ans à 60 ans au jour de la donation, 60 % s'il a entre 61 ans et 70 ans, etc. Compte tenu de l'abattement de 100.000 euros applicable entre parents et enfants, des parents âgés de 60 ans peuvent ainsi transmettre en une seule fois jusqu'à 800.000 euros en franchise de droits à leurs deux enfants, s'ils se portent tous les deux donateurs.
Pas d'impôt sur la plus-value
A leur décès, leurs enfants devenus nus-propriétaires vont récupérer la pleine propriété des biens transmis sans droits de succession supplémentaires à payer sur la valeur de l'usufruit. Mais ce n'est pas tout ! L'éventuelle plus-value prise par le bien entre la date de la donation et celle du décès de leur parent donateur échappera également à toute taxation.
« Par exemple, si la donation porte sur des biens immobiliers, les parents en tant qu'usufruitiers peuvent financer d'importants travaux de rénovation, comme la construction d'une piscine, sans que cela ne soit considéré comme un supplément de donation taxable », explique Murielle Gamet, notaire associée chez Cheuvreux Notaires à Paris.
La règle est plus ou moins la même lorsque la donation porte sur des titres d'une société bénéficiaire, soumise à l'impôt sur les sociétés. Lorsque les parents choisissent de mettre les bénéfices en réserve plutôt que de les distribuer, les enfants nus-propriétaires pourront également profiter de l'accroissement de la valeur des parts résultant de cette mise en réserve en franchise de droit de succession. Par exemple, si la société met chaque année 50.000 euros en réserve et que le parent usufruitier décède dix ans après la constitution de la SCI, c'est 500.000 euros supplémentaires qui peuvent être transmis aux enfants, en franchise de droits de succession.
Reste que l'économie d'impôt ne doit pas être le seul moteur de cette opération. Il ne faut pas perdre de vue que le démembrement de propriété restreint le droit de vente de l'usufruitier. Il n'aura plus la possibilité de vendre le bien seul, c'est-à-dire sans l'accord de ses enfants nus-propriétaires. « Il faut parvenir à concilier les avantages d'une transmission anticipée de patrimoine avec l'allongement de la durée de vie humaine en ayant à l'esprit qu'une personne âgée de 55 ans a une espérance de vie de 90 ans, s'il s'agit d'un homme et de 94 ans pour une femme », prévient Corinne Caraux.
Prévoir une réversion d'usufruit
Dernier intérêt d'une donation avec réserve d'usufruit : il est possible de prévoir une réversion de l'usufruit au profit du conjoint, partenaire de pacs ou concubin survivant pour lui permettre de conserver, à son tour, la jouissance ou les revenus des biens transmis jusqu'à la fin de sa vie.
Le conjoint ou le partenaire survivant n'aura pas de droits à payer mais s'il est plus jeune que le donateur (c'est-à-dire s'il se situe dans une « dizaine » inférieure à celle dans laquelle le donateur se situait au jour de la donation), le nu-propriétaire aura droit à une restitution d'une partie des droits de donation qu'il avait acquittés. En revanche, si le bénéficiaire de la réversion est le concubin, il devra payer des droits de succession.
Les subtilités du quasi-usufruit
Lorsque l'usufruit porte sur des biens consomptibles, c'est-à-dire dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme de l'argent, on parle de quasi-usufruit. Les modalités de constitution d'un quasi-usufruit sont nombreuses. Il est souvent envisagé pour accompagner la transmission d'une entreprise, lorsque sa vente à un tiers est précédée de la donation des titres aux enfants en nue-propriété. Il est alors prévu de reporter l'usufruit portant sur les titres sur le prix de vente.
Cette opération permet au chef d'entreprise d'utiliser le produit de la vente comme il l'entend, à charge pour lui de restituer une somme équivalente lorsque l'usufruit prendra fin à son décès.
Le quasi-usufruit peut aussi être créé par le démembrement de la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie : il est alors prévu que le capital décès reviendra en usufruit au conjoint ou au partenaire de pacs et en nue-propriété aux enfants. Avec ce type de clause, les capitaux seront versés en intégralité au conjoint ou partenaire survivant qui pourra en disposer à sa guise, à charge de restituer à son décès un capital équivalent aux enfants nus-propriétaires. Fiscalement, cette opération est avantageuse car la dette de restitution est déductible de l'actif successoral du quasi-usufruitier.
Nathalie Cheysson-Kaplan
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